Parle-moi de chevaux, de crocodiles et de peinture : cynisme et bestiaire politique dans les Onze de Pierre Michon
Résumé
Avec Hegel, la raison s’est faite histoire, c’est-à-dire violence, pour établir la
coïncidence de l’Esprit et du réel. Pour les écrivains et les penseurs du XXe siècle, qui
commence, on l’a assez dit, en 1917, la question est bien de savoir qui, dans ces noces
étranges de la raison et de l’histoire, va manger qui : est-ce l’histoire qui se fait rationnelle, ou
est-ce la raison qui devient monstrueuse ? C’est évidemment toute la question politique des
Onze, récit consacré à la Terreur de 1793 par le biais narratif d’une commande mystérieuse :
on demande au citoyen peintre Corentin de représenter les onze membres du Comité de Salut
Public, et celui-ci, sans le vouloir, engendre un chef-d’œuvre absolu qui, évinçant David,
marque la naissance de la peinture moderne. On voit comment s’inscrit en ce texte la question
de l’animal, qui est aussi celle de l’instinct et de la prédation : est-elle mangée ou mangeante,
la rationalité politique, progressiste, qui veut établir, par la Terreur, le pouvoir de la Justice,
de la Vertu ? Pour Michon, la réponse ne fait aucun doute : la raison est toujours cette brebis
qui se prend pour un loup et qui ne peut jouer de rôle historique qu’en se renonçant elle-même
pour devenir louve parmi les loups. C’est un point de vue cynique. C’est cette thèse qui rend
le mieux compte je crois de la cohérence et de la portée scandaleuse de ce petit récit aussi
énigmatique que fascinant : son enjeu est de montrer comment l’art, allié objectif du pouvoir
et de la banque, contribue à faire de l’histoire une farce. Chacun reste libre de nommer qui en
sont les dindons.
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