“Dieu ait son cul”. Le style de Momo-Rosa Romain Gary
Résumé
Dans La Vie devant soi, le style appartient à la communauté que forment Momo et
Rosa : car l’auteur du roman, par un pacte fictionnel qui fait entendre non sa « voix » mais
celle de son personnage-narrateur, s’est volontairement dépossédé du lien entre son nom
(mais lequel ?) et son style. La Vie devant soi accrédite l’idée que le style est un idiolecte (une
langue ultra-minoritaire) qui espère essaimer et devenir non pas majoritaire (comme le sont
les langues de pouvoir) mais exemplaire. Le style de Momo-Rosa voudrait ainsi donner le
goût, signifier l’urgence, attester la vérité de ce « vivre pour aimer » qui est sa raison d’être.
Ce style est ouvert aux influences de la solennité littéraire (grâce à l’enseignement de M.
Hamil, grand lecteur de Hugo et du Coran), aux emprunts (le yiddish, l’arabe), et même à la
langue de l’ennemi, représentée par ces expressions figées-figeantes propres aux langues
administrative, médicale, journalistique. Poisseux, pesants, ces tours signifient et organisent le
déni du réel : le réel, c’est-à-dire la vie misérable de Rosa et Momo, vieille pute et enfant de
pute. Le style de Momo-Rosa opère donc à même la langue majoritaire ; en la déréglant, il
montre en acte le dérèglement de ce monde mis en ordre par le pouvoir ; sur les débris
logiques, moraux, de cette pseudo-logique, de cette pseudo-morale, Momo et Rosa font
advenir le rêve d’une vie utopique : celle où l’amour, résistant à l’ordre des lois, offre aux
pauvres leur revanche inespérée sur la misère.
Domaines
Littératures
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)
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