La question des genres ne fait pas partie de ces questions qui se laissent aborder de manière seulement théorique, du point de vue extérieur d’une pensée de surplomb. Cette question recouvre en effet d’abord des registres d’expériences vécues et un ensemble de pratiques dont la littérature et les sciences humaines et sociales se sont largement emparées. Mais surtout, prise sous l’angle d’une analyse des rapports de genres, cette question mérite d’être traitée directement dans ses enjeux sociaux et politiques qui conduisent à l’éprouver au quotidien en rapport avec le jeu des dominations qui enserrent notre identité sexuée et qui confèrent sa dimension problématique aux interactions sociales où cette identité est en question (et en un sens, elle l’est toujours). Il semble en tout cas difficile de ne pas penser les relations entre les genres et entre les individualités genrées autrement que sous le rapport de la domination, ce qui revient à envisager les rapports hommes-femmes d’un point de vue critique, c’est-à-dire d’un point de vue qui relativise la portée des discours égalitaristes (sans toutefois en annuler l’exigence) et qui invite surtout à penser ces rapports dans le registre de ce que Pierre Bourdieu a désigné, à la fin des années 1990, comme la « domination masculine ». Nous souhaitons dans la présente contribution interroger les présupposés de cette démarche sociologique (en tant qu’elle semble entériner des stéréotypes de genre et ruiner toute perspective féministe d’émancipation ) et envisager à partir de là le sens et la portée d’une analyse critique des causes et des effets de cette domination que le sociologue semble lui-même suspendre dans la dimension utopique de l’amour.