« Inamovibles », « tire-au-flanc », « incompétents » : les stéréotypes concernant les fonctionnaires ne manquent pas et n’ont rien de neuf. Au xixe siècle, on les qualifiait déjà régulièrement de « parasites » et l’expression « ponctionnaires » qui fait aujourd’hui florès sur Twitter est une sorte d’héritière d’une formule à succès sous la IIIe République : les « budgétivores ». Cette constellation de critiques s’accompagne d’une littérature de dénonciation de la bureaucratie qui, elle aussi, rencontre un certain écho depuis près de deux siècles : des employés de Balzac en 1838 et ronds-de-cuir de Courteline au début des années 1890 jusqu’aux municipaux des Chevaliers du Fiel, déclinés au théâtre, à la télévision et au cinéma depuis le milieu des années 2000. Cet ensemble participe à l’édification d’un lieu commun : les fonctionnaires seraient payés à ne rien faire, preuve qu’il y en aurait trop. La dénonciation de leur nombre a traversé l’ensemble de l’époque contemporaine et aucune tendance politique n’y a échappé depuis la Révolution française (Ruiz, 2021). Elle est ainsi l’un des rares, voire le seul, point commun à des figures politiques aussi diverses et opposées que Saint-Just et Nicolas Sarkozy, Jean Jaurès et François Fillon, Charles Maurras et Emmanuel Macron, ou encore Maurice Thorez et Valérie Pécresse. Face à une telle unanimité de personnes aux convictions politiques si différentes, on se doit de la prendre au sérieux. N’y aurait-il pas un fond de vrai dans cette dénonciation